J'avais emmené le Grand Machin en Ethiopie.

Lui, il s'était agité dans tous les sens pour faire semblant de tout préparer et comme d'habitude tout le monde avait fait oui de la tête pour lui faire plaisir. Lui, il était content.

C'est marrant quand même comme les bipèdes ont besoin de se sentir importants.

Alors qu'être une Miss Addis c'est quand même bien plus simple et rigolo.

 

vue du Simien

 

L'Ethiopie est un très beau pays, plus d'une fois et demi plus grand que la France.

Les bipèdes, qui ont toujours besoin de faire de grandes phrases l'appellent la République Fédérale Démocratique d'Ethiopie.

On croit souvent dans notre pays que c'est un endroit très sec et désertique. Mais en fait, même s'il y a aussi des endroits pleins de sable et de cailloux que l'on appelle des déserts, comme le Danakil, ou les vastes plaines qui vont vers la Somalie ou Djibouti, ce sont surtout de très grands plateaux qui montent peu à peu vers le ciel.

C'est aussi un des berceaux de l'humanité. Et c'est là-bas que l'on a découvert le squelette de Lucy en 1974.

J'aime beaucoup aller m'y promener. Les Ethiopiens et les Ethiopiennes sont des gens tellement gentils et fiers. Qui sont en plus très accueillants.

Et moi, j'adore emmener le Grand Machin dans les Monts du Simien ou près du lac Tana où on s'est fait plein de copains.

D'ailleurs, la photo de Moi qui est sur toutes les pages de mon site a été prise en Ethiopie, et au fond, on peut voir derrière ma sublime beauté celle non moins majestueuse des contreforts des monts Simien.

Ahhhhh.... Il y aurait tellement de choses à dire sur cette région du monde et j'ai tellement d'histoires à vous raconter.

Ce jour là, nous étions dans les monts Simien depuis quatre ou cinq jours.

 

Ces monts sont très jeunes à l'échelle de la terre et se sont formés de l'activité volcanique qui a aussi donné la grande vallée du rift Africain. Les paysages sont grandioses... On dirait que des géants ont découpé dans les montagnes des vallées très profondes à grand coup de hache.

A la saison des pluies, il pleut.

Et à la saison chaude, ben il fait chaud.

Moi j'étais toute contente contente contente et je galopais à droite et à gauche pour sentir les fleurs ou grimper sur des rochers.

Comme ce sont des hauts plateaux, on est très haut. A un peu plus de 3 000 mètres à l'endroit où se déroule cette histoire.

Le soleil brillait très fort et il faisait vraiment chaud, après la nuit qui était elle, très froide.

De temps en temps, je grimpais sur le sac à dos du Grand Machin et je frétillais du popotin au rythme des chansons que chantaient Tefayaou et Guedj.

Tefayaou est mon scout (escorte) et il est très gentil. Guedj lui est guide. Et je l'aime beaucoup. Nous formons vraiment une très bonne équipe d'amis.

En plus ils ont bien compris comment ça marche et ils font oui de la tête pour que le Grand Machin soit content.

Donc, Guedj et Tefayaou chantaient, moi je frétillais du popotin en rythme, et le Grand Machin faisait pffff pffff en transpirant dans les montées, pffffffffffffffffffff pfffffffffffffffffff dans les descentes et hunk hunk quand les sentiers étaient plats. Toujours en transpirant. Comme si ça servait à quelque chose.

Il faut dire que dans le Simien ça monte, puis ça descend, puis ça monte encore plus haut avant de descendre et de remonter.

C'est aussi un des rares endroits en Afrique où il neige régulièrement.

On pourrait croire qu'il n'y a personne tant la vie est difficile. Et pourtant il y a plein de villages partout. Avec de jolies cases toutes rondes. Et comme la topographie est très accidentée, des fois, on peut voir un village de quelques cases de l'autre côté de la vallée, mais il faut presque deux jours de marche pour y aller.

Je pense que c'est pour cette raison que la plupart des animaux là-bas sont des oiseaux. C'est tellement plus pratique de savoir voler....

Nous avions fait une petite halte sur le bord d'un ruisseau et avions partagé une Injera, qui est le plat typique des éthiopiens. C'est une grande crêpe de céréale fermentée, faite avec du "teff" dans la région. Dessus, on pose des légumes, de la viande. C'est très rigolo parce que l'injera sert d'assiette et de pain en même temps.

Là, c'était Guedj qui en avait apporté, juste recouverte de sauce tomate et de piment. Le Grand Machin est devenu tout rouge, puis tout blanc et il avait les yeux qui pleuraient. Pourtant, il aime bien quand ça pique !

On n'avait pas sorti l'Injera du sac de Guedj, et nous mangions épaule contre épaule en plein milieu de cet univers immense et magnifique. Je crois que nous avons fait là, un plein de souvenirs que l'on n'oubliera jamais... Le Grand Machin a pris dans son sac corbeau d'éthiopiequelques fromages et fruits, et nous avons tout partagé sous le regard d'un couple de corbeaux d'Éthiopie.

Puis, nous avons repris notre route.

Tefayaou et Guedj trottinaient presque en chantant, le Grand Machin faisait pfffff pfffff hunk hunk en transpirant, et moi, je m'étais installée dans la poche de Guedj et je regardais le paysage en remuant du popotin au rythme des chansons.

Sur le bord d'un sentier, alors que nous étions arrivés sur un grand plateau, un jeune garçon de 8 ou 9 ans était là et nous regardait arriver.

Un peu partout on croise des jeunes paysans qui essaient de vendre aux rares randonneurs des articles de l'artisanat local, comme des petites poupées, des poteries, des objets tressés de toutes les couleurs.

Guedj et Tefayaou sont très connus dans la région, et ils se sont mis à discuter et à rire avec le jeune berger.

Le grand Machin est arrivé en faisant pfff pfff et a aussi engagé la conversation en Anglais. C'est quand même incroyable ! On était au fin fond des montagnes, et comme souvent, ces enfants parlent mieux l'Anglais que beaucoup de bipèdes que je connais.

 

jeune berger du Simien. Ethiopie

 

Le berger voulait vendre quelques objets, mais le Grand Machin a montré du doigt la fronde en ficelle tressée que le garçon avait autour du cou.

Guedj a rit et a expliqué que cet objet s'appelle un "tindjilitt" et que les bergers s'en servent pour lancer des cailloux pour rassembler leurs troupeaux, faire fuir les animaux qui viennent ennuyer leurs bêtes ou chasser les oiseaux pour le dîner.

Le petit garçon a alors sorti de sa besace quatre ou cinq tindjilitts tout neufs et très jolis, de toutes les couleurs.

Mais le Grand Machin, qui est toujours très têtu et qui fait toujours que ce qu'il veut même si on ne le comprend pas, a encore montré du doigt le vieux tindjilitt tout gris et effiloché qu'il avait repéré de son regard perçant.

Le petit garçon a ouvert de grands yeux tout étonnés et a dû se dire que le Grand Machin était vraiment bizarre.

Il a montré les frondes toutes neuves et toutes jolies (moi j'en avais repéré un rouge et gris foncé très joli) et disant " 100 birrs" . ( C'est la monnaie éthiopienne, prononcez "beur" )

Le grand Machin a négocié, comme il le fait d'habitude, et ils se sont mis d'accord sur 70 birrs. Il m'énerve quand il fait ça ! ! ! Le petit garçon aurait bien eu besoin de 100 birrs et c'est pas ça qui aurait gêné le Grand Machin.

Et le Grand Machin s'est penché à l'oreille de Guedj pour lui dire quelque chose que j'ai pas entendu.

Pfffffff

Guedj et Tefayaou riaient en regardant la scène.

Re-pffffff ces bipèdes.....

Le jeune berger a alors tendu le Tinjilitt rouge et gris, qui était le plus joli, mais le Grand Machin a fait non de la tête et a pris le tout vieux et tout usé. En même temps, il a mis son autre main dans sa poche et a sorti, j'ai pu les voir, quatre billets de 100 birrs .

Le jeune berger a ouvert les yeux tout grand ! A le voir, il pensait certainement que c'était une blague et que les trois bipèdes se moquaient de lui.

Ils avaient vraiment l'air très idiots, surtout le Grand Machin, parce que chacun tenait un bout des billets et du tindjilitt et personne ne voulait lâcher.

Guedj a rit et a parlé en amharique (la langue Ethiopienne) au jeune berger. Qui a ouvert la bouche et les yeux et a fait un grand sourire.

En fait, le Grand Machin avait négocié le vieux tindjilitt, mais voulait que le gamin lui donne un cours de lancer de cailloux.

Là, j'ai regretté de ne pas avoir pris mon casque....

Et ils ont commencé.

Le garçon a montré au Grand Machin comment faire. Il a pris sa fronde, un caillou, a fait tourner tout ça au-dessus de sa tête.

Tefayou a lui aussi fait un tir. Zwiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Moi, j'ai jeté un regard de par dessus le sac à dos derrière lequel je m'étais mise à l'abri, et zwiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! ! ! ! Le caillou est parti droit vers le ciel en faisant un clac ! très sec en partant !

Il en a pris un autre, a refait tourner la fronde au-dessus de sa tête. Ca faisait comme une jolie musique et clac ! zwiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii un autre caillou est parti comme une balle !

Moi, je frétillais du popotin tellement c'était rigolo, Guedj et Tefayaou riaient.

Le Grand Machin a alors pris le tindjilitt et un caillou.

Les trois éthiopiens riaient beaucoup parce qu'il ne savait pas comment faire.

Le berger lui a montré et lui a donné un autre caillou.

Le Grand Machin l'a mis dans la fronde et a commencé à faire tourner tout ça, mais ça n'avait pas encore fait deux tours que le caillou a fait "pof" en tombant à ses pieds.

Moi j'ai rigolé, le Grand Machin m'a lancé un regard noir, Guedj et Tefayaou ont fait oui de la tête et le jeune berger s'est caché le visage derrière sa couverture pour ne pas faire voir qu'il riait aussi.

C'est à ce moment que d'autres jeunes bergers et bergères sont arrivés en courant et en riant. Mais ils sont quand même restés à distance. Jeunes mais prudents les petits.

Le Grand Machin a refait tourner la fronde au dessus de sa tête et je me suis dit qu'il avait quand même fière allure, un bras en direction de là où il fallait lancer le caillou comme on lui avait expliqué et les jambes bien campées sur le sol.

Ca a fait zwiiii zwiiii zwiii et pof ! le caillou est parti à 90 ° de la direction prévue en direction de Tefayaou qui a fait un saut de côté pour l'éviter.

Moi, j'ai éclaté de rire et j'ai mis le gobelet en métal du thermos sur la tête.

Guedj, Tefayaou et le jeune berger se sont mis derrière le Grand Machin qui avait déjà ramassé un autre caillou.

Guedj est arrivé en courant près de lui en riant et lui a pris le tindjilitt des mains pour lui montrer comment faire. Moi, j'ai enlevé le gobelet de ma tête parce que j'avais du thé qui me coulait dans les yeux.

La fronde a fait zwiiii zwiii izwiii en tournant et clac ! le caillou est parti comme une fusée !

Les jeunes ont applaudi et Tefayaou a chanté un chant guerrier.

Le grand Machin a applaudi lui aussi et a demandé au jeune berger de lui montrer encore une fois.

Zwwwiiii zwiiii zwiiii clac pfouuuuuu ! Le caillou est parti et a touché la branche d'un buisson à trente mètres que visait le garçon.

Il a redonné le tinjilitt au Grand Machin, un caillou bien rond.

Le Grand Machin a refait tourner la fronde.

Moi, j'ai remis le gobelet sur ma tête.

Guedj et Tefayaou et le jeune berger et les autres enfants se sont reculés en restant bien derrière le Grand Machin....

 

 

Zwiii zwiii zwiii clac et pfouuuu !

Le caillou est parti juste derrière le Grand Machin qui regardait vers le ciel en cherchant le caillou des yeux, alors qu'il était parti exactement de l'autre côté en direction de mon gobelet !

Tout le monde a rigolé et Tefayaou s'est mis derrière un gros rocher.

Encore zwiii zwiii zwiii clac pofff ! C'était comme si une pluie de cailloux tombaient de partout sans qu'on sache d'où ils venaient.

Tout le monde rigolait mais était quand même essoufflé à force d'éviter les pierres...

Et moi, j'avais toujours mon gobelet sur la tête et j'avais réussi entre deux tirs à saisir le couvercle de la gamelle dont je me servais comme bouclier. On aurait dit une manif de 68 en plein monts du Simien. Il ne manquait plus que les lacrymogènes et Cohn-Bendit !

Tefayaou s'est approché du Grand Machin pendant qu'il rechargeait et lui a même proposé de lui prêter sa carabine contre le tindjilitt mais le lanceur de pierres a refusé.

Le jeune berger s'est approché presque en rampant avec Guedj et ils ont fini par lui expliquer comment faire...

C'était déjà mieux. Mais bon, eux ils rigolaient beaucoup, et moi, je commençais à avoir chaud sous mon gobelet.

Tout ça a duré bien trois quart d'heure. Puis ils sont venus s'asseoir près de moi et le Grand Machin a sorti du sac un paquet de biscuits que nous avons partagé avec tous les jeunes bergers qui riaient beaucoup avec Guedj, Tefayaou et le Grand Machin.

Puis nous sommes repartis.

Guedj a mis son bras autour de l'épaule du Grand Machin. Il l'a remercié d'avoir passé ce bon moment. Le jeune berger était monté sur un grand rocher et nous faisait au revoir de la main.

J'ai appris à ce moment là qu'il n'avait pas voulu dire son prénom. Mais qu'il était tout fier et tout ému d'avoir partagé ce moment et gagné un peu sa vie à apprendre à un étranger un petit bout de "ses montagnes" comme ils disent dans le Simien.

Aujourd'hui, le tindjilitt tout gris et tout effiloché trône sur le bureau du Grand Machin à Paris.

 

 

Les Coréens racontent une très jolie histoire :

               " Les parents sont comme l'archer. L'enfant comme la flèche.

                 L'archer ne peut donner que l'impulsion, la direction et la force.

                 Une fois le trait décoché de l'arc, l'archer ne peut plus rien contrôler.

                 La flèche alors est libre.

                 Son trajet lui appartient.

                 La raison fondamentale de la Vie est que le dernier Archer et la dernière Flèche atteignent enfin l'horizon."

 

 

La Miss Addis